Les défis d’un prix en éthique

Chris MacDonald, grand blogueur devant l’éternel, article802). L’occasion est donc bonne pour parler des difficultés et des défis auxquels on peut faire face lorsqu’il faut organiser ce genre de prix.Jeudi le 22 février 2007, par Dominic Martin

Vu de l’extérieur, on pourrait penser qu’il est relativement simple de récompenser les meilleures entreprises citoyennes du Québec. Après tout, ne suffit-il pas de s’asseoir, d’étudier une centaine de cas, et de choisir les entreprises qui semblent agir de la façon la plus « gentille » ? N’est-ce pas un peu ça, le but de l’éthique des affaires ?

Malheureusement, non.

Outre sa candeur débordante, une approche comme celle-là poserait plusieurs problèmes méthodologiques. D’abord, faire de l’éthique des affaires n’équivaut pas à faire la promotion des comportements « gentils ». On n’est pas chez les Calinours ici. Entre autres choses, le but de l’éthique des affaires est de déterminer la manière dont on peut concilier des attentes morales contradictoires. Nous sommes conscients qu’une entreprise doit faire des choix difficiles entre des actions qui ont une valeur morale supérieure et des actions purement stratégiques qui doivent lui permettre de rester en vie.

Une image vaut mille mots, c’est pourquoi je vous invite à aller jeter un coup d’oeil à la caricature suivante. On y voit cinq gestionnaires qui sont sur le point de choisir, entre deux options, « celle qui n’est pas éthique ». Cela équivaut à dire que le facteur éthique est sur le même pied que n’importe quel autre facteur dans la décision, et que l’on peut tout aussi bien choisir de l’écarter comme on le ferait d’autres types de considérations. C’est pourtant tout le contraire : l’éthique est la réflexion qui vise à concilier différentes options pour résoudre ce genre de dilemme.

Le deuxième problème est aussi vieux que le monde : il est très difficile d’évaluer le caractère moral d’un individu, et encore plus le caractère moral d’une entreprise. Demandez à Platon : cette question anime la plupart des dialogues socratiques. Pour reprendre à mon compte une formule utilisée par Stephen Hawking (où il parlait de la réalité de l’espace-temps, mais bon, c’est presque pareil) : l’éthique n’est pas une qualité que l’on peut tester avec du papier tournesol. Autrement dit, le caractère moral se mesure très mal, ce qui constitue un obstacle de taille lorsqu’il s’agit de classer des candidats :

  • Il est très difficile de chiffrer la valeur morale d’une action, sûrement aussi difficile qu’évaluer le taux de bonheur (voir article827);

La liste des 100 meilleures entreprises citoyennes classe ses candidats à l’aide d’une sommation de divers indices numériques et Chris montre bien les difficultés que cela pose et dont il faut en être conscient (je ne le dis pas pour attaquer la méthodologie du prix qui me semble rigoureuse et systématique). Les Prix Québécois de l’entreprise citoyenne ont l’avantage de pouvoir utiliser un mélange de critères qualitatifs et quantitatifs parce qu’ils décernent un seul prix dans différentes catégories, mais les auteurs de la liste des 100 meilleures entreprises citoyennes n’avaient pas ce choix. Ils doivent faire une sommation pour produire un classement.

  • Il est difficile d’évaluer l’ensemble des actions d’une entreprise pour en faire un panorama représentatif. Même si une entreprise affiche un dossier parfait à tous les points de vue, un simple détail peut changer notre perception et/ou évaluation morale.

Par exemple, on apprend que le P.D.G. d’une entreprise reconnue pour ses engagements environnementaux conduit un véhicule utilitaire sport. Cela ne devrait pas changer notre évaluation en théorie. Une entreprise n’est pas imputable de ce à quoi s’occupe son P.D.G. dans ses temps libres, si ces comportements n’ont pas d’effets sur son travail. Mais en pratique…

Troisième problème, comment faire pour n’oublier personne ? En effet, il est difficile de recenser tous les candidats et les cas intéressants. Il arrive souvent que les gestes significatifs au plan éthique ne sont pas ceux qui sont les plus évidents. Il s’agit souvent de décisions prises à l’interne, dans un environnement complexe et dans un climat de relative confidentialité. Autant il est facile de savoir si une entreprise fait des dons caritatifs ou si elle commandite des événements culturels, autant il est difficile d’obtenir de l’information sur les arrangements qu’une compagnie négocie avec ses fournisseurs, sur les concessions qu’elle est prête à faire pour ses employés, ou encore sur les règles de bonne gouvernance qu’elle adopte pour démocratiser les relations entre ses actionnaires.

D’ailleurs, au moment où j’écris ce message, il y a peut-être des gestionnaires qui posent des gestes héroïques pour concilier les besoins de leurs employés avec les pressions du marché (par exemple, une petite PME forestière dans une région éloignée), bien qu’il soit fort possible qu’on n’en entende jamais parler. Et c’est pourquoi je vous invite à nous faire parvenir vos candidatures en grand nombre.