Vous avez dit « patriotisme économique »?

Mercredi le 17 janvier 2007, par Pierre-Yves Néron

En référence à l’histoire de la compagnie Levi Strauss & Co., mon collègue Dominic Martin a fait mention de l’idée de « patriotisme économique », pour comprendre et justifier certaines des pratiques de la célèbre entreprise. On le sait, Levi Strauss & Co., par souci pour ses employés américains, a longtemps résisté à la tentation de délocaliser une partie des ses activités vers des pays comme la Chine. Il faisait remarquer qu’

À l’époque, dans les eaux troubles des manifestations altermondialistes, ce type de revendication était monnaie courante. On demandait aux grandes entreprises de ne pas transférer leur chaîne de production dans des pays en voie de développement.

Ces revendications, qui ont animé de nombreux mouvements politiques, pourraient sans doute être comprises, à tout le moins en partie, par le recours à l’idée de « patriotisme économique »

Pour beaucoup d’entre nous, l’idée de patriotisme économique devrait être considérée avec méfiance. Mais est-ce si évident? Qui a-t-il au juste de condamnable dans le patriotisme économique? Celui-ci est-il nécessairement un vice? Peut-il être considéré comme une vertu? Évidemment, celui-ci semble servir à merveille les pires formes de protectionnisme économique. Toutefois, n’y a-t-il pas aussi une grande part de patriotisme économique dans les discours sur le « Achetez local »?

Ce sont évidemment de grandes questions. Je me contenterai de faire deux remarques. Premièrement, il faut noter que les « patriotes économiques » ne forment pas un groupe très homogène. En effet, la rhétorique du patriotisme économique a souvent été utilisée par des intervenants provenant d’horizons idéologiques parfois très éloignés. En faisant appel à des sentiments concernant nos allégeances les plus profondes, le discours du patriotisme économique a très bien servi une certaine crainte de la grande entreprise, que ce soit chez les conservateurs de l’Angleterre du début du 20ième jusqu’à certains mouvements altermondialistes de gauche en passant par Pat Buchanan.

Deuxièmement, il est essentiel de prendre en considération toute l’ambiguïté du patriotisme, en général, comme idéal moral. (voir à ce sujet Is Patriotism a Virtue? de Alasdair MacIntyre) Pour certains, plutôt portés vers des idéaux cosmopolites, le patriotisme ne peut qu’être associé à une vision limitée de notre monde. L’humanité forme une seule et unique communauté et la défense d’une forme quelconque de patriotisme devrait être considérée comme désuète aux yeux des « citoyens du monde » que nous sommes. Pour d’autres, le patriotisme est tout à fait légitime, puisqu’en tenant compte du caractère « enraciné » des personnes, il permet de donner un véritable sens au « vivre ensemble », contrairement aux fantasmagories cosmopolites.

Alors, quel avenir pour le discours du patriotisme économique? J’y reviendrai.