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L’entrepreneur face à l’incertitude

Rencontre autour de la Revue de philosophie économique et la question de l’entrepreneur.

Demi-journée d’étude organisée par la Chaire Ethique et finance du Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH), le Centre de recherche sur les risques financiers (CEFRA) de l’EM Lyon et l’UR Philosophies contemporaines (PHICO, EA 3562) de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, le 13 janvier 2016.

Lieu : Fondation Maison des sciences de l’homme, 190, avenue de France, Paris 13ème. De 14h à 19h. Entrée libre dans la limite des places disponibles.

Organisateurs : Olivier Le Courtois, professeur de finance à l’Ecole de Management de Lyon, directeur du CEFRA, Emmanuel Picavet, professeur d’éthique appliquée, PHICO équipe NoSoPhi « Normes Sociétés Philosophies » Christian Walter, titulaire de la chaire Ethique et Finance de la FMSH, PHICO équipe NoSoPhi.

OBJECTIF

Dans son volume 15 (2014/1), la Revue de philosophie économique a consacré un dossier sur le thème « Figures de l’entrepreneur », coordonné par Gilles Campagnolo et Christel Vivel, qui ouvrait plusieurs perspectives sur les manières contemporaines de penser l’entrepreneur. L’objectif de cette demi-journée d’étude est de poursuivre la réflexion engagée dans ce numéro de la revue à partir de l’un des thèmes sous-jacents à cette réflexion : la question de l’incertitude.

La demi-journée se conclura avec la séance du séminaire de la chaire Ethique et Finance qui reçoit à cette occasion Xavier Fontanet, ancien directeur général du groupe Essilor et président du comité d’éthique du Medef, et auteur de l’ouvrage Et si on faisait confiance aux entrepreneurs (2010). Une recension de cet ouvrage est publiée dans la Revue de philosophie économique, 16, 2015.

PROBLEMATIQUE

1) L’absence de l’entrepreneur dans la pensée économique classique et néoclassique (Extrait de C. Walter, Revue de philosophie économique, 16, 2015)

La figure de l’entrepreneur parcourt la théorie économique depuis le XVIIIe siècle. C’est au banquier français Richard Cantillon (1680-1734) que l’on doit la première esquisse de ce qui caractérise la personne de l’entrepreneur : dans son Essai sur la nature du commerce en général (1755), Cantillon présente l’entrepreneur comme quelqu’un possédant une aptitude à affronter l’incertain, et le distingue en cela des propriétaires et des fermiers qui vivent de rentes, c’est-à-dire de rémunérations sans incertitude. Cette spécificité disparaîtra progressivement dans la pensée économique ultérieure. Adam Smith (1723-1790) dépersonnalise l’entrepreneur avec la main invisible. David Ricardo (1772-1823) le réduit à un capitaliste (l’entrepreneur est celui qui détient le capital). Jean-Baptiste Say (1767-1832) en fait un organisateur répartiteur de risque en avenir certain. John Stuart Mill (1806-1873) le voit comme une sorte d’intermédiaire obligé entre production et consommation. Alfred Marshall (1842-1924) l’assimile à un manager. La disparition de l’entrepreneur est confirmée dans la pensée microéconomique classique. Chez Léon Walras (1834-1910), l’entrepreneur est confiné à la fonction de production. Chez Vilfredo Pareto (1848-1923), l’entrepreneur devient l’agent de liaison entre les produits et les marchés. La pensée économique néoclassique achève de faire disparaître la personne de l’entrepreneur avec deux postulats qui rendent inutile sa présence : la transparence du marché (symétrie dans l’information) et l’homogénéité des produits (substituabilité des biens et différenciation par les seuls prix). Au vingtième siècle, John Kenneth Galbraith (1908-2006) considère que l’individu entrepreneur doit être remplacé par des organisations collectives. Enfin, la théorie financière de l’efficacité informationnelle des marchés d’Eugene Fama (1939-) ignore simplement l’entrepreneur, qui a pour principal défaut d’invalider les hypothèses néoclassiques sur lesquelles se fonde cette théorie.

2) L’entrepreneur, le risque mesurable et l’incertitude non mesurable

La pensée néoclassique définit le risque comme de l’incertitude mesurable, et ne peut modéliser les situations d’incertitude dans lesquelles les statistiques et les lois des grands nombres ne fonctionnent pas. La demi-journée posera la question : l’absence de l’entrepreneur dans la pensée économique classique et néoclassique n’est-elle pas aussi une conséquence de la réduction néoclassique de l’incertitude au risque mesurable ?

La distinction canonique entre risque et incertitude a été introduite par Frank Knight (1885-1972) dans son ouvrage de 1921 Risque, incertitude et profit. Les principes en sont aujourd’hui connus. Lorsqu’il faut décider de quelque chose à faire devant l’inconnu, trois situations existent, qui représentent trois sortes d’incertitude à laquelle l’agent fait face. Dans la première, il est possible de connaître a priori les probabilités des états futurs du monde, comme pour un dé : l’incertitude est mesurable par des probabilités « objectives » (elles ne dépendent pas de notre opinion sur le dé). Dans la deuxième situation, on ne connaît pas à l’avance les probabilités, comme pour une urne dans laquelle des boules de deux couleurs sont dans une proportion inconnue, mais on peut progressivement, à force de tirages répétés, s’en faire une idée a posteriori : l’incertitude est mesurable par des probabilités « subjectives » (chacun peut se faire son idée sur la proportion). Une troisième situation existe : l’incertitude n’est pas mesurable. Cette troisième situation caractérise une incertitude qualifiée de radicale. La demi-journée posera la question de la nature de l‘incertitude à laquelle l’entrepreneur est confronté. Et quelles seraient les conséquences du type d’incertitude pour l’appréciation éthique du niveau des rémunérations des chefs d’entreprise ?

3) Mesurer le non mesurable ? Knight, Keynes et les processus de Lévy

Il s’agira de rouvrir le dossier de la bipartition posée par Knight et Keynes à partir de la question suivante. Les raisonnements de Knight et Keynes ont-ils été enchâssés dans une prénotion probabiliste issue des conceptions de Quetelet (loi normale) et de Brown (processus aléatoire brownien). Un tel cadre fait totalement l’impasse sur une zone floue mais très importante qui est celle où des risques non gaussiens existent mais où il n’y a aucune incertitude. Suivre les raisonnements de Knight et Keynes, ou bien leur antithèse, c’est voir un monde dual où tout est mesurable ou bien rien n’est mesurable. Entre les deux, à nouveau, existe un territoire immense où en fait sont concentrés la plupart des problématiques économiques et de gestion modernes. Depuis les travaux de Mandelbrot et leur suite constituée des travaux sur l’application des processus de Lévy non stables en finance dans les années 1990 et 2000, il est apparu que de nombreuses situations qui semblaient incertaines étaient en fait risquées, mais avec un risque mesuré par des approches non gaussiennes à lois indéfiniment divisibles. Les recherches actuelles visent à préciser ce nouveau cadre ainsi que ses frontières : si l’approche à retenir utilise des processus de Lévy, que peut-on dire des paramètres de ses processus et n’y a-t-il pas réintroduction d’une forme faible d’incertitude à ce niveau ? Par ailleurs, un certain nombre de problèmes qui sont encore considérés comme des problèmes d’incertitude ne pourraient-ils pas devenir des problèmes risqués en faisant un usage adéquat d’approches non gaussiennes ?

Références

Campagnolo G., Vivel Ch. (2014), « Introduction », Revue de philosophie économique, 15 (1), 3-16. URL: www.cairn.info/revue-de-philosophie-economique-2014-1-page-3.htm.

Revue de philosophie économique (2014), 15 (1), Figures de l’entrepreneur.

PROGRAMME

Accueil : 14h

Emmanuel Picavet et Christel Vivel, MCF, ESDES, université catholique de Lyon • Présentation de la Revue de philosophie économique et du numéro « Figures de l’entrepreneur »

Première partie : l’entrepreneur et l’incertitude

Éric André, professeur d’économie, EM Lyon : • « L’incertitude au sens de Knight dans la théorie économique »

Philippe Silberzahn, professeur de gestion, EM Lyon : • « Incertitude, entrepreneuriat et design d’artefacts sociaux »

Thierry Ménissier, professeur de philosophie, équipe « Philosophie, pratiques & langages », EA 3699, université de Grenoble Alpes : • « Entreprise et innovation : incertitude, prise de risques et sérendipité »

Olivier Le Courtois et Christian Walter : • « Questions posées, pistes de travail futur sur l’entrepreneur, l’incertitude et sa mesurabilité »

Deuxième partie : séminaire de la chaire Ethique et Finance

Xavier Fontanet, ancien directeur général du groupe Essilor, président du comité d’éthique du MEDEF : • « Risque, incertitude, profit et éthique de l’entreprise »