La guerre, la guerre… c’est pas une raison pour faire de l’argent

Jeudi le 5 avril 2007, par Pierre-Yves Néron

Ne vous y trompez pas, Corporate Warriors, de P.W. Singer, n’est pas le dernier livre à la mode chez les gourous du management, ni encore une énième tentative de lier les enseignements de Sun-tzu à la réussite en affaires. Loin de là . Il s’agit plutôt d’un excellent ouvrage signé par un politologue et portant sur le développement fulgurant de ce qu’il appelle « l’industrie militaire privatisée » (privatized military industry).

Je ne vous ferai pas languir bien longtemps à propos de mon appréciation de cet ouvrage. J’en recommande fortement la lecture à quiconque s’intéresse aux relations internationales.

Le premier mérite de l’ouvrage de Singer est de fournir beaucoup d’informations sur cette industrie, ce qui est déjà considérable étant donné sa nature en partie secrète et donc très peu portée vers la transparence. On y trouve plusieurs informations pertinentes sur les 20 000 « soldats privés » qui servent actuellement en Iraq, sur les géants mondiaux que sont Halliburton et Executive Outcomes ainsi que sur les différents types de services offerts par les firmes militaires. Ne serait-ce que pour avoir tenté de décrire adéquatement l’industrie privée de la chose militaire, nous devons saluer le travail de Singer.

Le deuxième mérite de l’ouvrage est de donner une bonne idée des enjeux éthiques liés à l’accroissement du rôle joué par le privé dans les affaires militaires. On pourrait en fait dire, pour ceux qui aiment voir de l’éthique un peu partout, que l’ouvrage se situe aux croisements de l’éthique des affaires et l’éthique de la guerre (évidemment, les plus cyniques diront qu’il s’agit de la même chose). Singer y pose bien sûr des questions normatives sur la légitimité de la guerre mais surtout sur la conduite de celle-ci. Et il y pose également des questions sur la légitimité des pratiques d’une industrie d’un type bien particulier ainsi que sur les façons d’organiser le marché des services militaires.

Si l’analyse de Singer est très nuancée, on peut tout de même sentir chez lui un certain scepticisme à l’égard de l’importance grandissante de l’entreprise privée dans le monde militaire. Comme il ne note en conclusion de son ouvrage :

«…] The private military industry is now a reality. Its emergence raises possibilities and dilemmas that are not only compelling and fascinating in a theoritical sense, but also driven by their real world relevance. It is thus paramount that our understanding of privatized military firms continues to be developed. […] the old proverb used to be that «War is far too important to be left to the generals». In the 21st century, a new adage may be necessary: War is far too important to be left to private industry.»

Un ouvrage à lire.

[

Singer, P.W. Corporate Warriors: The Rise of the Private Military Industry, Cornell University Press, 2003.