Qui l’eut cru?

Selon le magazine The Economist, une nouvelle « tendance verte » frappe les sociétés de financement par capitaux propres. Bien étranges sont parfois les animaux qui peuplent le merveilleux monde de la haute finance. Celui-là mérite qu’on s’y attarde un peu plus.Jeudi le 26 avril 2007, par Dominic Martin

Les private equity, comme on les appelle en anglais, administrent des fonds privés. Ces sociétés ont la particularité de racheter des entreprises publiques mal en point, de les sortir des marchés boursiers pour les soumettre à une restructuration majeure et les revendre par la suite.

Elles se sont fait connaître dans les années 70 et 80, notamment pour leurs pratiques de rachat et de revente assez agressives. Les gestionnaires sont extrêmement bien rémunérés, lorsqu’ils ne sont pas aussi investisseurs dans le fond. Les autres investisseurs acceptent de remplir leur part du contrat : donner de l’argent et faire confiance. Bref, tout le monde travaille dans la même direction afin de remettre la compagnie à flot à la suite d’une période de restructuration de 5-10 années. Les profits seront générés par la vente de l’entreprise ou par un premier appel public à l’épargne (initial public offering ou IPO pour les intimes).

Les pratiques de certains de ces groupes étaient féroces au point où ont les surnomaient « Barbarians at the gate », ce qui laisse supposer une certaine vision des choses.

L’article de The Economist (voir Eco-warriors at the gate, 1er mars 2007) discute de la société dirigée par Kohlberg Kravis Roberts (KKR), celle-là même qui a donné naissance à la métaphore du barbare. Le groupe KKR veut faire l’acquisition de TXU, Texan energy Utility, pour la modique somme de 45 milliards $ US (l’article date un peu, le prix oscille autour de 30 milliards $ par les temps qui courent).

Ce qui frappe dans cette histoire n’est pas tant la nature ou la valeur de la transaction (bof, 30 milliard au lieu de 40, quelle aubaine), mais le fait que KKR ait décidé de tenir compte des pressions environnementalistes. La compagnie texane prévoyait construire 11 centrales au charbon, une des façons les plus rentables, mais aussi les plus polluantes de produire de l’énergie. S’ils deviennent les nouveaux propriétaires de TXU, le groupe KKR va adopter une approche complètement différente. Il va réduire à 3 le nombre de centrales au charbon et abandonner tous les projets de ce type dans le futur.

Capitalism’s legendary « Barbarians at the Gate », made infamous by KKR’s acquisition of RJR Nabisco in 1989, have become a bunch of tree-huggers.

Il y a plusieurs choses à dire là -dessus en particulier, et sur les sociétés de financement par capitaux propres en général.

Des firmes comme KKR ou Blackstone génèrent des gains sur le capital qui peuvent atteindre les 30%, un rendement de loin supérieur à la moyenne des marchés publics. Comment ces sociétés font-elles pour générer des profits aussi importants?

  • La possibilité d’éliminer les problèmes d’agence est un des principaux atouts des private equity. La meilleure façon d’amener les gestionnaires à défendre les intérêts des investisseurs et sà»rement de s’assurer qu’ils font partie du même groupe. Cela est possible puisque le fond est contrôlé par un petit groupe d’individus qui administrent des compagnies privées. Les autres investisseurs acceptent le risque élevé de leur placement.
  • L’autre avantage a trait à la possibilité de planifier sur le long terme. Les gestionnaires administrent des compagnies qui ne sont plus dans les marchés publics. Ils ne sont donc pas tenus de rendre des comptes à un grand nombre d’investisseurs. Ils n’ont pas besoin de prendre des décisions qui augmenteront les profits (réels ou fictifs) du prochain rapport trimestriel.

Malheureusement, il n’y a pas que des avantages. D’abord, les coà»ts d’entrées sont substantiels. Les investisseurs doivent disposer de plusieurs centaines de milliers de dollars la première année. On leur demandera probablement de fournir des sommes importantes les années suivantes. Une fois versé, cet argent est prisonnier de placements à long terme (donc pratiquement irrécupérables) laissés à la discrétion des gestionnaires principaux du fond.

Les private equity sont accessibles à des investisseurs privés ou institutionnels qui ont un capital liquide important. Ils peuvent se permettre de laisser dormir quelques centaines de milliers, voir des millions de dollars pendant plusieurs années avec la possibilité de tout perdre ou de gagner beaucoup.

Ce n’est pas exactement le profil d’investissement d’un étudiant en philosophie, ce qui m’amène à soulever un autre point :

  • Les private equity sont des pratiques d’investissement moins démocratiques, si je peux me permettre cette formulation démagogique. Ils contribuent sà»rement à encourager les inégalités de richesses, puisqu’ils sont seulement accessibles à ceux qui font déjà parti du club des multimillionnaires;
  • En plus, ils augmentent la volatilité du capital. La manÅ“uvre ne profite pas tout le temps. Il arrive que les compagnies rachetées ne tiennent pas la route faisant disparaître, avec elles, leur valeur d’achat et tous les fonds investis par la suite.

La surprise

Qui aurait cru que dans ces conditions (gros capitaux, restructuration majeure, faible imputabilité, obligation de générer des profits importants, etc.) une société choisirait la voie verte? L’article n’est pas clair sur les détails. On en vient même à questionner le caractère vertueux du groupe KKR. Les futurs propriétaires ont-ils levé le nez sur le charbon pour les bonnes raisons?

Difficile à dire, et c’est toujours un peu le cas lorsqu’on essaie d’évaluer les motivations morales des entreprises. Il n’en reste pas moins qu’il est intéressant de voir que les projets de ce type de société d’investissement peuvent converger avec des considérations environnementalistes.