Petit cours d’ontologie environnementaliste (bis)

Jeudi le 11 janvier 2007, par Dominic Martin

Il y a longtemps, très très longtemps, en 2006, nous avons parlé de la façon de comprendre les obligations environnementales des entreprises (voir article824, 1ère partie). À la question : « les obligations normatives des entreprises à l’égard de l’environnement se limitent-elles à ne pas affecter la santé des êtres humains? » j’avais écrit qu’il y a au moins trois réponses :

  1. Notre seul critère normatif est la santé des êtres humains (autrement dit, on arrête de se poser des questions aussitôt que la vie des êtres humains n’est pas menacée, ou ne pourrait pas l’être).
  2. Même si la santé des êtres humains n’est pas menacée, on condamne moralement la dégradation environnementale. Mais on est prêt à la tolérer si l’on peut en retirer des avantages supérieurs. Cette option représente la position d’un agent qui ferait un calcul coût-bénéfice entre la dégradation environnementale et d’autres avantages économiques.
  3. On considère que la santé des êtres humains est importante, mais seulement au même titre que tous les autres organismes des écosystèmes, et le premier devoir moral est de préserver l’équilibre de ces écosystèmes.

Le but était de faire ressortir une distinction entre

  • une conception anthropocentrique : où l’on considère que la dégradation environnementale est condamnable dans la seule mesure où elle peut affecter la qualité de vie des êtres humains. Ceux-ci peuvent donc faire un usage complètement instrumental de leur environnement naturel; et
  • une conception holiste : où l’on considère que la préservation des écosystèmes sur terre à une valeur morale en soi. Cela inclut les êtres humains, mais seulement au même titre que les autres organismes vivants. Dans sa version la plus extrême cette position nous permettrait même de sacrifier des vies humaines si cela menace l’équilibre d’un écosystème.

On voulait aussi faire ressortir une distinction entre ce que je qualifierais d’une approche univoque versus une approche conséquentialiste. On peut considérer que les deux conceptions s’appliquent en totalité, ou tolérer un certain calcul coût-bénéfice entre la dégradation environnementale et les avantages économiques que l’on peut en retirer.

Deux distinctions binaires fois deux, ça donne quatre. Si vous êtes attentifs, vous avez compris qu’il y a une quatrième position. À mon avis, elle est moins intéressante d’un point de vue de l’éthique des affaires, mais on pourrait aussi écrire :

2b. la stabilité des écosystèmes est plus importante que la santé des êtres humains (c’est une position holiste comme 3) mais on peut faire un calcul coût-bénéfice entre la dégradation environnementale et les avantages économiques qu’elle procure.

Les entreprises peuvent-elles s’en tenir au premier choix? C’est une bonne question. Dans tous les cas, il est certain que ce critère est déjà TRÉS inclusif. Avec un peu d’imagination (et les avocats n’en sont pas dépourvus, les philosophes non plus d’ailleurs), virtuellement toutes les formes de dégradation environnementale peuvent affecter la qualité de vie des êtres humains.

D’un point de vue pratique, il est certain qu’il est plus facile de convaincre et mobiliser les entreprises sur la base d’un critère minimal. Mesurer l’impact de l’ensemble de ses pratiques commerciales sur la santé des êtres humains est déjà une tâche ardue qui demande un nombre non négligeable de ressources. Demander aux entreprises de prendre en compte tous les impacts environnementaux de leurs pratiques (au-delà de ce qui est exigé par la loi, je le rappelle) est une attente encore plus élevée.

Finalement, on pourrait argumenter que le premier critère ne formule pas une obligation extra-légale pour les entreprises. Le système de justice (canadien du moins) les y contraint déjà . Si les pratiques d’une entreprise posent un risque pour la santé des êtres humains (en vendant des aliments nocifs par exemple), il y a de bonne chance qu’elle viole au moins une loi quelque part.

« Jamais deux sans trois » comme on dit. Dans un prochain et dernier message sur le sujet, j’essayerai de faire ressortir quelques éléments intéressants pour penser les obligations des gouvernements.