Petit cours d’ontologie environnementaliste

17 décembre 2006, par Dominic Martin

Il n’y a pas si longtemps, Chris MacDonald est venu à la CEA pour nous présenter ses résultats de recherche sur l’étiquetage des aliments génétiquement modifiés (voir Trans-fats vs. Genetically Modified Foods, 6 décembre 2006).

Pour faire court, il a défendu l’idée que les entreprises n’ont PAS l’obligation normative d’informer les consommateurs sur la présence d’ingrédients génétiquement modifiés. Il faut faire attention ici, sa présentation ne portait pas sur les devoirs ou les responsabilités des gouvernements (autrement dit de bonnes politiques publiques). Les entreprises seraient tenues d’étiqueter leurs produits si l’une de ces 4 conditions s’appliquait :

  1. La législation les contraint en ce sens (i.e. une loi l’oblige);
  2. On peut démontrer l’existence de risques pour la santé des êtres humains;
  3. L’étiquetage est une pratique d’affaire reconnue, une norme commerciale;
  4. On peut démontrer l’existence d’un droit à l’information pour les consommateurs.

Ce qui n’est pas le cas (si vous n’êtes pas d’accord, je vous invite à lire les différents arguments qui l’amènent à adopter ce point de vu). Ensuite, il a lancé une question fort stimulante : cette liste se prétend exhaustive, mais doit-on inclure d’autres critères? Quelqu’un a suggéré de rajouter en 5e position : « On peut démontrer que les OGM ne sont pas une cause importante de dégradation environnementale », à travers la prolifération d’OGM dans l’environnement par exemple. Sur quoi Chris a répondu que cette considération était déjà prise en charge par le 2e critère. Mais voilà une belle question d’ontologie environnementaliste :
Peut-on considérer que les seuls cas de dégradation environnementale moralement condamnables sont ceux qui menacent la santé des êtres humains?

Grosso modo, on a trois choix :

  1. La relation des êtres humains à leur écosystème est instrumentale et seuls les cas de dégradation environnementale qui affectent (ou peuvent affecter) leur qualité de vie sont moralement condamnables.
  2. Dans les cas où la santé des êtres humains n’est pas menacée, il est acceptable d’endommager un écosystème si les êtres humains en retirent des avantages supérieurs.
  3. La vie sur terre possède une valeur morale en soi et les êtres humains ont le devoir de la préserver indépendamment des avantages qu’ils peuvent en retirer.

La présentation de Chris tend à suggérer qu’il faut s’en tenir au premier choix, mais je vous invite à lire le dernier article sur son blogue, GM Foods, the Environment, and Corporate Obligations, qui offre plus de précisions sur la manière d’évaluer ce critère.

En pratique (merci à Virginie Maris, chercheure post-doctorante au CRÉUM, pour ses éclaircissements sur le sujet), il arrive souvent que l’on tolère des activités commerciales dévastatrices pour l’environnement si elles n’ont pas ou peu d’impact sur la santé des êtres humains, par exemple l’exploitation minière ou la production d’hydro-électricité. Toute une série de raisons peuvent nous amener à adopter cette position :

  • Des arguments pragmatiques : Une entreprise n’a pas les moyens d’assumer tous les risques de dégradation environnementale, de les anticiper, et ensuite de réparer tous les torts commis.
  • Des arguments critiquant les concepts utilisés : On ne s’entend même pas sur ce que signifie « préserver la stabilité d’un écosystème », « gérer le risque », « dégradation environnementale », etc.
  • Des arguments en philosophie de l’économie visant à montrer que ce n’est pas le rôle des entreprises;
  • Des arguments métaphysiques : les êtres humains possèdent la terre, ils peuvent en faire ce que bon leur semble, etc.

N’oublions pas que l’on discute des obligations des entreprises au-delà de la loi. Il s’agit donc d’actions qu’elles devraient entreprendre de leur propre initiative en dehors d’un cadre régulateur.

Je publierai très prochainement la suite de ce message où je donnerai des éléments de réponse au deuxième volet de la question : si les responsabilités des entreprises se limitent à respecter la loi et à ne pas causer de tort à la santé des êtres humains, quelles sont les responsabilités qui incombent aux gouvernements?