Êtes-vous heureux?

Quoi de mieux pour commencer l’année qu’une bonne discussion sur le bonheur. Pas une discussion sur la meilleure façon de l’atteindre (bof, quel intérêt?) mais une discussion sur la meilleure façon de le calculer.Samedi le 6 janvier 2007, par Dominic Martin

Avec un taux de croissance annuel de 3.2% per capita depuis l’an 2000, l’économie mondiale est en voie de connaître sa décennie la plus prospère. Rien à envier aux années 50 et 60 longtemps perçues comme les «success years» de la croissance économique. Pourtant, les habitants des pays riches ne sont pas plus heureux. Pour un économiste, ce genre de donnée empirique est, bien entendu, un profond paradoxe. Quoi !? Plus de croissance économique ne mène pas à plus de «bonheur»?

Et ben non.

Mais ne vous en faites pas, le magazine The Economist à une explication (voir Happiness (and how to measure it) et Economics discovers its feelings, 19 décembre 2006) :

The science of happiness offers two explanations for the paradox. Capitalism, it notes, is adept at turning luxuries into necessities — bringing to the massses what the elites have always enjoyed. But the flip side of this genius is that people come to take for granted things they once coveted from afar […] as they achieve a better standard of living, they become inured to its pleasures.

Many of the things people most prize — such as the top jobs, the best education, or an exclusive home adress — are luxuries by necessity. […] These « positional goods », as they are called, are in fixed supply: you can enjoy them only if others do not.

Je vais essayer de me limiter à trois commentaires sur ces deux articles.

Un : Le sujet n’est pas original en soi, mais ça vaut la peine de les lire, ce n’est pas tous les jours qu’un média de masse soulève d’aussi bonnes questions philosophiques.

Deux : L’explication suggérée dans l’éditorial du magazine est intéressante, mais elle passe à côté de l’essentiel. Le niveau de bonheur, ou le rapport entre les joies et les peines dépend sûrement de choses beaucoup plus intangibles et subjectives qui ne se limite pas à l’accès à des biens ou des services. C’est une critique facile, j’en conviens, mais ô combien pertinente dans ce cas. Le problème avec le bonheur, c’est qu’il se mesure très mal en termes quantitatifs.

Trois : Cela signifie-t-il que réfléchir à ce genre de chose n’est pas le rôle de l’économie? Devrait-on abandonner une Science du bonheur telle qu’on nous la présente dans ces deux articles? Non, pas du tout, et pour deux raisons. L’économie doit aussi s’intéresser aux questions du bien vivre ensemble. Cela passe notamment par une réflexion sur la meilleure façon de construire les institutions économiques qui y contribuent. Pour évaluer si ces institutions rendent les individus heureux, les économistes doivent posséder des moyens de le mesurer.

Deuxièmement, une tentative d’analyse scientifique du bonheur a au moins l’avantage de remettre en question un bon nombre d’idées préconçues. On ne peut rien tenir pour acquis quand on essaie d’évaluer la quantité de joie ou de peine des êtres humains, à commencer par leur propre impression sur le sujet :

«Patients undergoing a colonoscopy (in which a probe is passed up the rectum) [have been asked] to report their level of discomfort minute by minute. Later, they were asked how they felt about the procedure in retrospect. […] The duration of the pain did not seem to make much difference. Patients were happier about a coloscopy that lasted longer but ended better.»